N°1  La querelle du spectacle

 
     
 

Jacques Perriault

 
  Les simulacres de lumière : une archéologie  
     
     
 

"Alter per lucem, aut ignem". L'un par la lumière, l'autre par le feu. Kircher souligne l'alternative fondamentale. Le père jésuite de Fulda a codifié en 1641 les procédés qui permettent de montrer les choses, littéralement, à côté d'elles même, tout l'oeuvre de la magie parastatique. Dans son Ars magna lucis et umbrae, à la page 718, il rappelle les deux techniques pour représenter les choses dans un lieu obscur : le soleil, introduit par des miroirs, ou la flamme d'une lampe. Représenter signifie ici montrer. Le lieu obscur est la chambre noire, dont Descartes vient juste de constater que l'oeil d'un boeuf en respectait le principe…

A l'époque, le Grand Art consiste à canaliser la lumière dans l'obscurité en la faisant circuler de miroirs en lentilles jusqu'à la paroi. La force lumineuse d'une simple lampe à huile nous étonne encore, Pierre Bracquemond l'a montré il y a quelques années en reconstituant et en faisant fonctionner la lanterne décrite par Kircher.

Vasco Ronchi, qui a dirigé longtemps l'institut d'optique de Florence, remarquait que la science avait conservé le terme de "lux", la lumière spirituelle, et pas "lumen", pour désigner la lumière du soleil ou du feu, ce qui paraissait pourtant mieux approprié. Au XVIIe siècle, ce pli est pris depuis longtemps. Mais il intrigue. Relisons Erwin Panofsky qui a exploré les origines. Jean Scot Erigène écrit "Toute créature visible ou invisible est une lumière portée à l'existence par le Père des Lumières" et il enchaîne : "Ainsi c'est tout l'univers matériel qui devient une grande lumière, composée d'une infinité de petites lumières, qui sont comme autant de lanternes (lucernis)". Tout élément perceptible est la marque lumineuse d'un élément auquel l'Homme ne peut pas accéder directement. L'esprit humain qui s'offre à ce rayonnement (claritas) va vers sa cause transcendante qui n'est autre que Dieu.

Ce chemin n'est autre que la voie anagogique (anagogicus mos) que suit l'Abbé Suger. Sa conception de la cathédrale s'en inspire. Il la met en oeuvre en construisant la basilique de Saint Denis. Son projet est d'exposer le fidèle à la claritas, d'éblouir ses sens, par la luminosité du vitrail (lux), par le feu des cierges (ignis), par le scintillement des ors sur lesquels ils se reflètent. Pour cet homme du spectacle, on y reviendra, la contemplation de pierres précieuses peut provoquer l'extase.

La projection lumineuse conduit celui qui en contemple les effets, des choses matérielles aux choses immatérielles. Parmi ces choses immatérielles, figure l'image de soi que Roger Bacon transportait de miroir en miroir. Littéralement, de la parastase.

L'audiovisuel jésuite, pour reprendre la métaphore de Fumaroli et pour l'élargir, ne rassemble pas que des procédés rhétoriques. Kircher l'étoffe et innove par substitution : la projection lumineuse remplacera les artifices de langage. Reprenons à partir d'Ignace de Loyola. Celui-ci préconise aux prédicateurs qui vont courir le monde une méthode d'imagerie mentale. Des textes sont élaborés, les exempla, qui décrivent de grands moments de l'Histoire Sainte, de sorte qu'à leur audition, les fidèles visualisent dans leur for intérieur les tableaux qui les représentent. Bernard de Clairvaux n'avertissait-il pas "Si tu veux regarder, écoute"  ? Cette méthode doit être robuste et reproductible, tout comme les icônes, auxquelles le fondateur de la Compagnie portait un intérêt appuyé. Que fait Kircher? Il épargne aux catéchumènes le souci de la visualisation, en l'offrant toute prête sur une plaque lumineuse projetée par une lanterne magique dans le lieu obscur. Il externalise en quelque sorte la tâche à laquelle les exempla conviaient les croyants.

Entourés que nous sommes de néons et d'halogènes, lumières puissantes, marchant sur des trottoirs violemment éclairés, nous avons beaucoup de mal à imaginer les références de jadis aux conflits quotidiens entre lumières et ténèbres. L'un de ceux-ci a traversé le Moyen-Age et perturbé la Renaissance, Boileau s'en plaindra bien plus tard dans les Embarras de Paris. Le passant ne voit rien la nuit tombée et a le plus grand mal à déchiffrer les plaques des noms de rue. Aussi a-t-on inventé des générations successives de lanternes portables, sourdes ou non, dont les plus performantes sont dotées d'un miroir parabolique, qui focalise les rayons. La lampe à huile qui équipe ces lanternes au temps de Kircher, brille, selon lui "d'un éclat si extraordinaire, qu'elle permet de déchiffrer....les plus petits caractères". L'iconographie fait tomber le moindre doute sur l'authenticité de la perception. Les rayons y sont dessinés drus comme des lasers. La lanterne est portable car dotée d'une poignée, le manubrium. Elle permet au passant égaré de lire les lettres constituant le nom des rues. Pourquoi n'inventerait-on pas une lanterne qui projette ces signes ? C'est ce que fait l'auteur du Discours de la Méthode en s'interrogeant sur une lanterne capable de projeter des caractères sur la Lune. L'inversion est faite. L'ancêtre de la torche électrique projettera des caractères et, pourquoi pas, des images. Pour cela, elle sera équipée d'un jeu de lentilles, un telescopium, merci Monsieur Kepler, et on y fera glisser des plaques peintes, des diapositives qui s'appellent à l'époque des parallelogramma. Bien avant la cyberculture, il y a eu une culture de l'audiovisuel en latin.

Ces plaques ne sont guère autre chose que de petits vitraux, la lumière artificielle les traverse, la lanterne assure l'étonnement (le "summo stupore" de Kircher), les outils du projet anagogique sont en place. Ils facilitent une progression qui va dans le sens inverse de l'Incarnation. Mais le parallelogrammum, la plaque, perturbe le projet et le détourne, du fait des simulacres dont elle est le support.

 

Simulacres

Signes, objets que l'Homme interprète, associe à des personnes, à des paysages, le simulacre est aussi vieux que Sapiens lui-même. Pierre Schaeffer a signalé, sans bien être entendu, que les médias créent et transportent des simulacres. L'ombre portée par le feu sur la paroi est sans doute à l'origine. Chez le potier de Sycion, la veillée réunit ce dernier, sa fille et l'amant de celle-ci qui part pour un long voyage, nous raconte Pline l'Ancien. Le feu dans l'âtre projette l'ombre du voyageur sur le mur. La femme se lève, prélève un charbon et trace le contour de l'ombre. Le lendemain, le potier prend de l'argile et modèle sur le mur l'homme parti, ce qui sera, selon le mythe, le premier bas-relief. L'homme est-il dans le bas-relief, l'être aimé est-il dans la photo que je conserve sur moi ? Difficile de trancher. Iconodoules et iconoclastes se battront d'ailleurs pendant des siècles sur cette question. Umberto Eco rappelait il y a longtemps déjà que l'Homme aime être de mieux en mieux dupé par l'image. Comme dans la croyance au mythe, il y a un consentement sous-jacent, voire une connivence. La statue chez Praxitèle, le portrait à la Renaissance, les photographies de famille n'ont pas d'autre rôle.

Kircher, revenons à lui, le sait bien. Avec la lanterne, comme avec bien d'autres dispositifs, il veut convaincre de l'existence de Dieu. A l'époque - mais l'a-t-on véritablement quittée ? - montrer se confond avec démontrer. Si je montre Dieu, je le démontre. Le secret de la preuve réside dans la plaque peinte. Ecoutons-le : " D'où il ressort, que si tu as sous la main quatre ou cinq plaques de cette sorte, dont chacune comporte plusieurs images, je dis que, par ce moyen, il est possible de démontrer ce que tu veux". L'exemplaire de l'Ars Magna Lucis et Umbrae sur lequel j'ai travaillé se trouvait dès 1697 à Bombay, comme en témoigne une mention d'inscription en bibliothèque. Les missionnaires avaient sur place des moyens techniques pour convertir. L'Histoire ne dit pas s'ils les ont utilisés.

Après Kircher, le simulacre projeté se perfectionne très rapidement. La Compagnie de Jésus se passionne pour le procédé. Dans son ouvrage publié à la fin du XVIIème siècle, Oculus artificialis teledioptricum sive telescopium, l'allemand Johannes Zahn fait une remarque fondamentale, car elle pose, en germe, le concept de cinéma. Il note que dans la camera oscura des peintres, on voit les oiseaux voler et les hommes, aller et venir. Zahn construit alors des projections animées. Il projette des vermisseaux dans un bocal, les mouvements d'une girouette et surtout celui d'une horloge. Arrêtons-nous un instant. La projection de l'heure a passionné pendant deux siècles les horlogers allemands et anglais. L'horloge de Zahn est translucide et ne possède qu'une seule aiguille. Le Prince peut ainsi voir l'heure dans sa chambre. Un siècle plus tard, ce sont les prostituées britanniques qui prennent le relais, avec une variante que l'on comprendra : la projection se fait au plafond. Si le simulacre d'horloge présente bien des commodités, il a, au passage, permis au procédé de s'évader de la sphère religieuse. La plaque peinte a fait de même, en plus grand. Un hollandais astucieux du nom de van Musschenbroek a poursuivi, vers 1730 l'oeuvre de Zahn en inventant les plaques animées. Grâce à un jeu de poulies, une petite manivelle fait pivoter un verre devant un autre. On peut ainsi faire marcher les ailes d'un moulin. Ou autre chose. Les plaques licencieuses projetées à la Cour de Louis XV montrent que l'ingéniosité est sur ce sujet déjà sans limites.

Vers 1750, les savants, Benjamin Franklin notamment, découvrent les merveilles de l'électricité. Les salons s'extasient devant les tableaux magiques et les portraits lumineux. Représentons-nous une plaque de verre sur laquelle une mince bande d'étain est repliée en un serpentin très serré. Les deux bornes de cette bande sont reliées à un générateur de courant. L'artiste pratique des incisions sur celle-ci, de façon à ce qu'elles représentent une figure, par exemple, celle d'un roi. Lorsque le courant passe, l'électricité jaillit à chaque solution de continuité et la silhouette royale apparaît alors dans toute sa lumière.
A la fin du XVIIIe siècle encore un abbé, l'Abbé Robert, originaire de Liège, porte à son apogée l'art du simulacre projeté. Robert trouve bientôt son nom fade et l'anglicise, Robertson. Gaspard-Etienne Robertson ouvre à Paris, en 1798, le premier théâtre de fantasmagories. Il imagine le Fantascope, une lanterne sur chariot, qui lorsqu'on déplace celui-ci, fait avancer, grossir, rapetisser et disparaître les objets à volonté. Son génie est d'associer au simulacre visuel, des accompagnements sonores dont les bruiteurs radiophoniques se sont inspirés bien plus tard, par exemple, remuer une tôle pour simuler le grondement de la foudre. Il va plus loin, au point qu'aujourd'hui encore, il n'a pas été rattrapé. Il intègre des parfums et des odeurs au simulacre global. Plumes d'oiseaux, poudres diverses sont jetées sur la braise en même temps qu'une plaque est projetée. La foule se presse chez Robertson. Sa grande spécialité qui fait frémir, est de faire réapparaître les défunts. Françoise Levie a bien rendu la scène dans ses livres et dans ses films. Un jeune homme demande au Maître de faire apparaître sa fiancée, disparue récemment. Robertson l'interroge habilement. Il a sous la main toute une galerie de portraits sur plaques. Il en choisit un qui est projeté en couleurs, ne l'oublions pas, sur un écran de fumée, parfums à l'appui. Stupeur, émotion, la jeune fille est revenue. Dans la salle les femmes s'évanouissent, le jeune homme hurle le nom de sa fiancée. La police se méfie. Pouvez-vous faire revenir le Roi ?, le provoque-t-elle. Robertson évite le piège. Mais le thaumaturge est décidément trop dangereux et la Convention fermera son cabinet.

Umberto Eco a raison. L'humanité cherche toujours à duper de mieux en mieux ses sens en perfectionnant les simulacres projetés. Le cinéma muet a détrôné la plaque. Lui-même a été remplacé, non sans résistance, par le parlant. Le Technicolor, puis le Cinémascope, puis la Géode, puis la galerie des nouvelles images du Futuroscope, l'énumération est sans début et sans fin. Comme le spectacle.

 

Spectacle

Au fil des siècles, l'intention motivant la projection lumineuse fut successivement la conjuration de l'absence (Dibutades), l'éblouissement (Suger), l'étonnement (Kircher), l'apparition des morts (Robertson). N'oublions pas les colporteurs savoyards qui ont traversé les siècles et les campagnes avec une lanterne magique sur le dos et une marmotte dans une cage, ou bien un singe. Arrivés au village, ils commentaient les images qu'ils projetaient avec des jeux de mots, dont les rares que l'on ait conservés, laisseraient sans doute perplexe l'Almanach Vermot. Les gens riaient. Aux autres intentions s'ajoute celle de distraire.

Dans tous les cas, il y a mise en scène. Celui qui projette ou qui organise la projection se représente l'effet qu'il escompte sur le public à qui il la destine. Au point qu'on imagine mal une projection sans spectacle. Même lorsque la lanterne a des visées scientifiques. Grâce à son microscope solaire, une lanterne bricolée à l'envers, la bougie y est remplacée par le soleil, l'Abbé Nollet grossit les puces jusqu'à les voir grosses comme des moutons. Il trouve cela curieux et intéressant, plus encore que la lanterne magique. Celui qui contemple s'installe et attend que le rideau se lève. Il y a un avant la projection, un pendant et un après. Surtout quand le matériel n'était pas au point, comme il l'est de nos jours. Il y a une quinzaine d'années, avec quelques amis, nous avons reconstitué une séance de lanterne magique à l'ancienne dans la ville d'Annonay. Nous y avons pris conscience que la projection proprement dite est entourée de divers suspenses autres que ceux liés à l'intrigue. Ils sont dus au matériel. La lanterne va-t-elle fonctionner ?, va-t-on voir l'image arriver sur l'écran ?, ce qui relevait souvent de l'exploit. L'appareil surchauffé - au bout de vingt minutes, ses cinq mèches l'ont fait passer au rouge vif - ne va-t-il pas exploser ? Rappelons-nous l'incendie du Bazar de la Charité. L'odorat est sollicité. Une séance de lanterne sent le pétrole, le fer surchauffé, la mèche consumée. Au cas bien improbable où celui qui projette n'aurait pas d'intention spectaculaire, le matériel s'en charge. Les spectateurs aussi, par leurs attentes

Suger a conçu la cathédrale comme un spectacle total. Celui qui y pénètre est environné de lumière, alors que l'abside carolingienne était totalement sombre. L'admirable rosace de Saint Denis provoque l'étonnement. L'Abbé programme des processions, des cérémonies de fondation, des consécrations, des liturgies. Panofsky n'hésite pas à dire de lui qu'il préfigure l'exhibitionnisme du producteur de films ou de l'organisateur de foires d'aujourd'hui. Tout cela irrite considérablement Saint Bernard qui prône la chapelle dépouillée, favorisant l'ascèse. Le débat est de toujours. La Réforme a emboîté le pas au fondateur de Clairvaux. Pour Thomas d'Aquin, par contre la beauté de l'image se situe à mi-chemin entre le plaisir animal et le plaisir esthétique.

Kircher adore le spectacle. Il suffit de compulser son Ars Magna qui est une immense collation des procédés parastatiques de l'époque. La magie parastatique permet des représentations de choses prodigieuses par la lumière et l'ombre. Dans cette compilation, la lanterne n'est qu'un item en voisinant d'autres, tels que; "construire une machine qui, à une heure choisie, allume un feu sur un autel, allume les cierges, déclenche une fontaine qui éteigne ce feu" ou encore "construire une statue qui, frappée par le soleil, déclenche selon l'heure, un phénomène prodigieux." Qu'est-ce que cela, sinon du Suger perfectionné ? Et le père Athanase a bien l'intention de spectacle en tête. Revenant à ses plaques et pour provoquer le plus grand étonnement, il suggère des verres où seraient peintes des choses joyeuses, tristes, horribles, terrifiantes et prodigieuses aux spectateurs (auditoribus) qui en ignorent la cause. L'astucieux mécanisme, comme celui de la machine de théâtre sur lequel travaille le Père Billère à peu près à la même époque (L'Univers actionné) doit être celé.

Est-il besoin de dire que Robertson est un grand du spectacle ? Avant d'entrer dans la salle, le spectateur est mis en condition. Il arrive avec une torche qu'on lui a tendue dans une antichambre obscure. Une femme, entièrement nue, mal dissimulée sous un tulle, y repose. Eros et Thanatos sont déjà là. Ils ne quitteront pas la salle. Tandis que les morts réapparaîtront, que la Mort avec sa faux volettera de-ci de-là, de jeunes personnes au buste dévoilé traverseront l'espace fugacement, le tout dans un concert de bruits et dans des nuages de fumées, d'odeurs et de parfums. Robert Houdin et David Copperfield se sont à coup sûr inspirés de l'Abbé Robert.

Tandis que ces metteurs en scène créaient des dispositifs pour les hommes, d'autres, les automaticiens, cherchaient à les remplacer et à construire un spectacle totalement automatique. Nous avons conservé la description, mais hélas pas l'objet, d'un petit théâtre d'opéra avec différentes décorations, machines et cordages, construit par un certain Magny en 1738. Cette merveille associait l'art de la musique mécanique, celui des machines de théâtre et des projections lumineuses. L'ensemble, orchestré par un mécanisme assurément complexe, permettait des représentations telles que celle-ci : Acte IV. On voit (dans ce théâtre) une campagne agréable. Le soleil descend du ciel dans un nuage, qui s'ouvrant peu à peu devient éclairé et tout brillant de lumière. Le Soleil ordonne qu'on célèbre son culte; le nuage se referme; le dieu remonte au ciel et, dans l'instant, il s'élève de terre, en son honneur, un temple isolé et magnifique. Ceci constitue l'archétype de la machine audiovisuelle complète d'aujourd'hui, plus complète encore si l'on admet qu'elle fonctionne en trois dimensions.

Contrairement à une opinion naïve, le cinéma vient de loin, d'où le terme d'archéo-cinéma proposé par François Cagnetta. Zahn, von Musschenbroek, Magny sont des ancêtres lointains des frères Lumière. Vers 1880, à l'instar de Rome qui n'en pouvait plus d'attendre les barbares, la lanterne n'en peut plus d'attendre le cinéma. A l'époque, elle a jusqu'à cinq objectifs. Par fondus enchaînés, on tente de leur faire représenter des spectacles mouvants. Vers 1885 apparaissent les premiers récits photographiques projetés. Les Enfants de l'Ivrogne est de ceux-ci Les malheureux qui l'ont vu ont dû être dégoûtés de l'alcool à tout jamais, tant le drame est épouvantable. Jules Marey met au point son fusil photographique et Emile Reynaud, de Liège lui aussi comme Robertson, son Théâtre Optique. Demeny fait les premiers films. Si on connaît la suite, on ignore en général ce qui a précédé, souvent de longue date. Et même si on s'intéresse aux inventeurs, on oublie toujours le public, les gens qui rient, qui pleurent, qui marchent. Fidèles, catéchumènes, courtisans, gourgandins, paysans, adultes des cours du soir, constituent ainsi une longue cohorte au travers des siècles qui a vu des projections, qui y a cru moyennant connivence. Eblouie, stupéfiée, convertie, amusée, instruite, cette interminable cohorte a toujours voulu que ses sens soient de mieux en mieux dupés. A la fin du XIXe siècle, la niche est prête. Monsieur Cinéma peut s'installer.

 
 

 

 
     
 
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