Médiologie
Fondée par Régis Debray

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Qu’est-ce que la médiologie ?

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Publié le : 17 novembre 2015. Modifié le : 12 août 2020

Étude systématique des interactions entre la technique et la culture, la médiologie s’intéresse aux moyens de transport du sens, dans l’espace et dans le temps. Car si la communication fait circuler l’information entre les contemporains dans l’espace, la transmission (au sens de transmission d’un patrimoine) la fait circuler dans le temps, entre les générations – à sens unique, il est vrai…

Pas besoin de médium (spiritiste) ni de tables tournantes pour faire parler et agir les morts : les dispositifs (médiologiques) de la transmission y pourvoient le plus banalement du monde. Comme le dit un médiologue un peu tourmenté : « chaque fois que je fais parler un mort (en le citant), je ne peux m’empêcher de penser qu’un mort est en train de me faire parler… ».

Le transport de l’information requiert des techniques et des institutions qui opèrent ces techniques. La médiation articule en effet deux faces : une face technique – la « matière organisée » (MO) – et une face organisationnelle ou politique – l’« organisation matérialisée » (OM), à savoir des institutions qui produisent, utilisent, propagent et légitiment les supports et les outils techniques.

Ces institutions sont plus ou moins spécialisées, dans la communication ou la transmission. En gros : les médias communiquent, l’école transmet.

« Car il ne s’agit plus de déchiffrer le monde de signes mais de comprendre le devenir-monde des signes, le devenir-Église d’une parole de prophète, le devenir-École d’un séminaire, le devenir-Parti d’un Manifeste, le devenir-Réforme d’un placard imprimé, le devenir-Révolution des Lumières, aussi bien que telle ou telle anecdote contemporaine, le devenir-panique nationale d’une émission radio d’Orson Welles aux U.S.A. (...) Disons : le devenir-forces matérielles des formes symboliques. » (Manifestes médiologiques, p. 17)

Interactions

Ces médiations ne sont ni neutres ni passives : la médiologie étudie en particulier leurs effets sur les « messages » ainsi transportés, et sur la culture au sens le plus large : le religieux, le politique, l’économie, l’art, etc.

Au risque d’en conclure que le message, tout bien pesé, c’est le médium ? La fameuse boutade de McLuhan peut faire sourire. Mais comment ne pas voir qu’à défaut d’être le message, le médium en détermine bien souvent le statut. Le « vu à la télé », qui prétend renforcer dans la presse l’autorité d’une publicité, en dit long sur les rapports de force entre ces deux médias – du moins dans un contexte commercial, car les « revues de presse » des médias audiovisuels doivent peut-être s’entendre comme la réponse du berger à la bergère. Autre exemple : c’est le « sceau » (une technique en général opérée par une institution) qui donne à une information (voire à une non-information !) le statut d’un secret.

Questions de médiologie

Le idées mènent le monde ? Peut-être, mais qu’est-ce qui mène les idées ? Par quels chemins, quels supports et quels véhicules ?

Comment une idée prend-elle corps et dure-t-elle dans le temps long ? Comment l’apparition d’une technique (de transport, d’écriture ou d’enregistrement) modifie-t-elle durablement les mentalités, les visions du monde, le rapport à l’espace ou au temps, les comportements d’un groupe humain ?

Et inversement : quelle est l’influence d’une culture sur l’adoption et l’adaptation d’une nouvelle technique ? Comment une institution réagit-elle à une innovation technologique ?

Une innovation n’entraîne donc pas automatiquement une transformation sociale, encore moins un « progrès » : elle favorise même bien souvent le retour d’archaïsmes ou de « progrès rétrogrades ». Régis Debray a donné à ce phénomène le nom d’« effet-jogging », par allusion à l’amour paradoxal des automobilistes pour la course à pied.

Questions d’actualité : que « fait » le numérique à l’école, à la politique, à la nation, à l’entreprise, etc. ? Ou bien : que font du numérique, ces mêmes institutions ?

Résister, s’adapter, voire adopter stratégiquement l’innovation : telles sont les options qui s’ouvrent à une institution face à l’irruption d’une « nouvelle technologie ».

Médiasphères

Dans une perspective historique, la médiologie s’appuie sur une périodisation qui vise à repérer des systèmes de communication et de transmission dominants, autour desquels la culture se stabilise pendant un temps dans une « médiasphère ». Ce terme désigne un milieu autant qu’une armature technique et symbolique. On distingue la logosphère (transmission orale), la graphosphère (régime de l’imprimé et de l’écrit), la vidéosphère (régime de la télévision et de l’image) et l’hypersphère (réseaux numériques). Ces médiasphères se succèdent dans le temps selon l’innovation technologique, mais cohabitent et s’enchevêtrent progressivement dans les infrastructures comme dans les usages. À titre d’exemple, l’hypersphère n’abolit pas la vidéosphère, mais la télévision elle-même se « numérise » et s’en trouve profondément remaniée, dans son fonctionnement comme dans les pratiques des usagers.

Le postulat d’incomplétude

La médiologie est aussi une réflexion sur le collectif : par quels vecteurs une idée produit-elle de l’adhésion, quels sont les ressorts techniques, symboliques et institutionnels de l’autorité, comment faire groupe ?

Aucun groupe ne peut se fonder sur lui-même. Les échanges horizontaux entre les membres d’une communauté ne suffisent pas à maintenir sa cohésion dans le temps. C’est la croyance commune dans un référent extérieur qui soude le collectif : passé mythique, transcendance, projet utopique, valeurs posées comme universelles… Ce référent, « inconscient religieux » du politique3, est appelée le « point d’incomplétude ». (R. Debray, Critique de la raison politique ou l’inconscient religieux, Gallimard, 1981.

Références

Le terme médiologie apparaît en 1979 dans l’ouvrage de Régis Debray, Le pouvoir intellectuel en France. Le texte fondateur est le Cours de médiologie générale paru en 1991. Debray souligne que la médiologie s’appuie sur de nombreux précurseurs : Victor Hugo (« ceci tuera cela », dans Notre-Dame de Paris), Walter Benjamin, Paul Valéry, Marshall McLuhan, Walter J. Ong, André Leroi-Gourhan, Gilbert Simondon… La pensée médiologique croise d’autre part en maints endroits celle de : François Dagognet, Bernard Stiegler, Pierre Lévy ou Jean Baudrillard, Jacques Derrida, Roland Barthes… Outre les ouvrages de Régis Debray, les principaux textes médiologiques sont produits dans deux revues successives : les Cahiers de médiologie (entre 1996 et 2004) et MediuM (2005 à nos jours).


Concepts médiologiques



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