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Défaite ou triomphe de l’Occident ?

par Paul Soriano

Publié le : 6 janvier 2024. Modifié le : 8 janvier 2024

Oliver Todd publie le 11 janvier prochain La Défaite de l’Occident. En attendant une lecture intégrale, on peut déjà retenir, de la présentation de l’ouvrage par l’éditeur, plusieurs de ses arguments pour en tirer… des conclusions diamétralement opposés…

« L’implosion de l’URSS […] avait surtout créé un vide planétaire qui a aspiré l’Amérique, pourtant elle-même en crise dès 1980. Un mouvement paradoxal s’est alors déclenché : l’expansion conquérante d’un Occident qui dépérissait en son cœur ». Ce « vide planétaire », nous l’actualiserons, si l’on peut dire, sous terme de de « trou noir » : dans la guerre des mondes où nous sommes engagés, l’Occident va l’emporter à coup sûr : pour la simple raison qu’il a inventé et déploie l’arme de destruction massive suprême : une espèce de trou noir qui absorbe tout…

« Mouvement paradoxal » certes, et même paradoxal et demi ! L’Occident en effet « dépérissait en son cœur », mais pour se rendre plus agile dans son entreprise hégémonique en se décivilisant ! On s’inspire ici d’Olivier Roy (La Sainte Ignorance. Le temps de la religion sans culture) : une religion qui entend convertir universellement doit se dégager de sa culture d’origine. Ici, la religion occidentale (œcuménique) de l’Argent dont le Credo serait : « Tout à un prix » ; ou, paraphrasant Baudrillard (« la réalité ralentit les échanges »), la culture ralentit les échanges – sauf quand elle devient elle-même un produit à échanger…

Selon Todd, la disparition du protestantisme a mené l’Amérique, par étapes, du néo-libéralisme au nihilisme ; selon nous, il n’y a pas de « disparition du protestantisme », mais plutôt déclin accéléré des institutions protestantes, ce qui conduit tout au contraire à la prolifération d’un néo-protestantisme qui n’est plus « contenu » (on m’inspire ici de Joseph Bottum, An Anxious Age : the Post-Protestant Ethic and de Spirit of America, 2014). Le mouvement woke en serait est un avatar « gnostique » dont il affiche clairement les caractéristiques : rejet du monde (occidental), mauvais démiurge (le Blanc), savoir initiatique absolu détenu par les « éveillés » (woke)…

Que l’on sache, ce ne sont pas les Russes ou les Chinois, ou les islamistes qui ont « inventé » le wokisme – cet anti-occidentalisme typiquement et, pour le moment, exclusivement occidental, concocté dans les universités américaines ! Ajoutons que les woke ne manquent pas d’arguments : les Occidentaux ne sont peut-être pas plus féroces que les autres, mais ils se sont donné les moyens de l’être à grande échelle…

Nihilisme ? Certes, mais nihilisme conquérant, absorbant. La preuve : le meilleur argument en faveur de l’Occident, c’est la direction prise par le mouvement des « migrants », toujours vers l’Ouest (ou le Nord) ; il n’y a pas à ce jour de « réfugiés occidentaux » en Russie (à part Snowden ?), en Chine, en Turquie… Mis à part aussi quelques identitaires français « réfugiés » en … Hongrie !

Enfin, sur « L’état zéro de la religion a conduit l’Union européenne au suicide… », ce sont plutôt les nations membres qui se « suicident », l’Union elle est plutôt le banc d’essai, la « maquette » à son échelle, d’un régime hégémonique sous protection (hard) et perfusion (soft) américaines. Nous autres Européens sommes les supplétifs (les harkis ?) de l’Oncle Sam…Et contents de l’être car outre la servitude volontaire nous avons inventé la servitude désirable dont le smartphone est l’objet médiologique par excellence…

Quant aux « ennemis de l’Occident », ils connaissent un retour spectaculaire d’une forme politique ressortie des poubelles de l’histoire pour être recyclée, comme il se doit désormais, l’« empire » (russe, chinois, ottoman, perse…) avec ses dirigeants anachroniques : le « tsar » Poutine, le « sultan » Erdogan, l’« empereur » Xi Jinping… Aucune de ces puissances n’offre une alternative crédible à l’Occident pour prendre en charge le management de la planète.

Certes, la Chine dispose désormais de ses propres GAFA (les BATX) mais il lui manque, entre autres, le globish (langue de l’hegemon), Hollywood, Netflix et le Rhythm and Blues, l’hegemon qui chante et qui danse. Seuls les États-Unis peuvent aligner la totalité des composantes du soft power et leur combinaison… Cela n’empêche pas les échanges de mauvais procédés : l’Occident observe de près la société de télésurveillance numérique à la chinoise et même son communisme de marché : pour s’en défendre ou pour s’en inspirer ? À nouveau : les deux, mon général. L’Occident contre le reste du monde, contre ses propres rejetons ? Avec de tels ennemis, on n’a pas besoin d’amis…

En deux mots, d’accord sur le diagnostic, désaccord sur le pronostic : les morts-vivants, les zombies que nous sommes en train de devenir, s’apprêtent à conquérir, ou plutôt à convertir, le monde…

Paul Soriano.

PS. Une illustration saisissante de « déculturation » (l’une des deux composantes de la décivilisation, avec la dénaturation) peut être tirée du film de Spike Lee, La 25e heures  : la scène ou « Monty » (interprété par le génial Edward Norton) démolit une à une toutes les « communautés » ethniques américaines (y compris la sienne, il est Irlandais). Voir (en français) : https://youtu.be/S1zFzQbFbpA...
A noter que le roman d’où est tiré le film est de David Benioff, auteur de Game of Thrones…


Occident ? « Tout a un prix » !


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