On connaît l’admirable « La magnificence et la galanterie n’ont jamais paru avec tant d’éclat que dans les années du règne de Henri second » de La Princesse de Clèves [1], tellement parfait qu’on a pu oser ce terrible pastiche : « La bassesse et la vulgarité n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat que pendant les années du règne de X. »
Simenon excelle dans cet exercice, jusque dans les plus modestes Maigret, comme ici (dans La Confession de l’enfant de chœur) :
« Il pleuvait tout fin, et la pluie était froide. Il faisait noir. Vers le bout de la rue seulement, du côté de la caserne où, à cinq heures et demie, on avait entendu des sonneries de trompette et d’où parvenaient des bruits de chevaux que l’on mène à l’abreuvoir, on apercevait le rectangle faiblement éclairé d’une fenêtre : quelqu’un qui se levait de bonne heure, ou peut-être un malade qui avait veillé toute la nuit. »
Eh bien, le premier paragraphe de L’Ensevelie de Daniel Bougnoux est à cet égard une franche réussite, en effet. Jugez-en :
« Par quelle voie avait cheminé la nouvelle ? Il semble à Pierre avoir toute la nuit subi pesamment le même rêve, un message confus qui ne se laisse pas débrouiller mais qui assiège le dormeur, comme une alarme mal débranchée ou répétée en boucle qui lui fait à leur réveil bégayer dans le cou de Maud, au creux tiède des cheveux et des draps, « Je ne sais pas comment te dire, mais cette nuit j’ai rêvé que quelqu’un d’important venait de mourir… ».
Outre la densité de l’écriture, le « suspense » (pardon pour cette allusion au genre dit mineur du polar) ou, si vous préférez, les préliminaires, nous paraissent impeccables. La question initiale à double détente, le mystère redoublé par l’allusion au rêve, l’alarme dans son surgissement le plus trivial (bruyant) arrachant au « creux tiède » des draps érotisés. Et le faux dénouement de la dernière phrase qui est une vraie relance, un détonateur en somme. Et jusqu’à cette réminiscence cinématographique qu’évoquera chez maint lecteur, cette nuit chez (ou avec) Maud ! A tort sans doute, mais comme pour laisser couler le lecteur lesté de références avant de le repêcher, lui donner du mou pour mieux le ferrer.
Mais trêve d’analyse et d’interprétation. Saisis par cette magistrale ouverture, cédons plutôt à la tentation de poursuivre la lecture…