Machiavel, éd. Uppr, 2016.
Machiavel : ce nom semble maudit, tant il évoque la manipulation, le mensonge, la cruauté, la violence, la jouissance du pouvoir, les machinations, l’absence de scrupule et le cynisme de la bonne conscience. C’est surtout son ouvrage le Prince, véritable apologie du mal, qui symbolise ces attitudes diaboliques : se fondant sur une connaissance neutre de la nature humaine, Machiavel expose en effet dans ce livre, et de façon froidement méthodique, le principe créateur de l’efficacité et de l’ordre politique. Autrement dit : comment imposer durablement sa puissance de faire obéir d’autres hommes, quitte à sacrifier sa propre humanité et assumer la nécessité de fonder les lois et les vertus sur un mal... Après de nombreux siècles de débats sur cette oeuvre provocatrice qui a fait exploser la philosophie politique, Robert Damien propose ici des interprétations décisives pour nous aider à mieux comprendre cette pensée réputée aussi « saisissante qu’insaisissable », comme le dit Louis Althusser. Une mise au point magistrale, qui met en évidence notre obligation de réexaminer à neuf les conditions effectives d’une moralité publique capable de nous gouverner selon des lois communes, reconnues et efficaces ce qui nous amène tout droit à la question peut-être la plus sensible : quel en est le prix à payer ?
Eutopiques : Exercices de méditations physiques, Champ Vallon éd. coll. « Milieux », 2015.
Eutopiques : Des lieux heureux (eu/topos), parfois d’euphorie car chacun se porte bien dans ces lieux communs et dits. Ils font nos bonheurs d’exister. Au travers d’objets, de mots, de pensées, de gestes, de situations, d’êtres, chacun éprouve le sentiment de valoir quelque chose, de se découvrir des qualités. L’eutopie confère à une existence l’énergie de créer, le courage de continuer, la vertu d’achever, tout ce qui institue un orgueil d’acteur de sa propre autorité.
Au cours de notre premier voyage en Eutopie, nous découvrons une humanité chaussée, rasée, joueuse, érectile, maisonnée, secrète, écolière. Les baskets, le rasoir, la chambre, la maison, etc., fournissent les épreuves d’une communauté corporelle des objets et des situations. Les villes, les paysages, les routes, les patrimoines font voir, par la variation de leurs concepts, ce qu’on n’avait pas perçu ni éprouvé. Des alliés ascendants, petits et grands auteurs, sont porteurs d’élucidation hautaine ou modeste. Ces conducteurs magistraux donnent à penser au-delà des catégories acquises de l’habitude. Ils nous font prendre de la hauteur.
Occasion d’extases bénignes, l’énigmatique recel qu’est l’eutopie conduit parfois une métamorphose de la banalité.
Éloge de l’autorité. Généalogie d’une (dé)raison politique, Armand Colin, « Le Temps des idées », 2013.
Comment s’exerce l’autorité ? Nous osons poser des questions incorrectes, philosophiquement dangereuses, politiquement inquiétantes. Pourquoi obéir et à qui ? De quel droit et au nom de quoi, quelqu’un peut-il commander à un autre et l’obliger à accomplir ce qu’il ne veut pas nécessairement accomplir de son plein gré ? Nous souhaitons affronter le problème de l’autorité par le biais plus radical d’une interrogation iconoclaste et mortifiante à la fois : pourquoi y a-t-il des chefs ?
La philosophie, au travers de plusieurs matrices de croissance, de confiance, de croyance, en a conçu la raison politique, analysé l’effectivité, critiqué les fâcheuses déviations, pour fonder l’augmentation légitime des êtres humains et féconder leur puissance commune pour atteindre le meilleur. Mais elle a aussi, à l’inverse, participé à la pathologie du chef adulé et divinisé d’une déraison politique. Elle a elle-même été coupable d’une fascination dégradante, entretenant la flamme qui la brûlera. Malheur au peuple qui a besoin... de chefs. Reste à savoir s’il peut s’en passer et lesquels il lui faut, comment les former, comment les remplacer et les contrôler démocratiquement ?