(…) L’émergence des groupes affirme, en dehors de tout cadre institutionnel, sa liberté de jouir du bonheur d’être américain, « Born in USA » chantera bientôt Bruce Springsteen…
Le Rock’n’roll célèbre, en pleine guerre froide, une nouvelle naissance du monde par sa jeunesse américaine, le nouveau monde est ressuscité, le rythme endiablé signe l’avènement heureux de sa nouvelle histoire. Avec le rock, la jeunesse blanche d’une nouvelle urbanité atténue les distinctions rurales et ouvrières, elle se fait l’héritière autodidacte des Noirs humiliés. Sa révolte fière, dédaigneuse des médiations savantes et des apprentissages besogneux, bat le tambour. En faisant la bamboula, elle s’amuse et ainsi s’arme d’une contestation joyeuse de l’apartheid…. Contre-culture pop(ulaire), mal aimée des intelligentsias militantes, le nouveau melting pot deviendra hégémonique couvrant toutes les formes musicales d’expression ou comment la marge excentrique conquiert le centre du système.
Son emprise sera rapidement universelle, pénétrant les mœurs quotidiennes, du biberon au couple, de la chambre au stade. Nouvelle pratique liturgique, elle se substituera victorieusement au latin psalmodique dont on écoutait la célébration sans en comprendre le langage.
(…) Sa cruauté, inaperçue et pourtant douloureuse, est de rejeter dans les fatalités nauséeuses de l’action les combats révolutionnaires. Désormais d’arrière-garde, ils brillent des lueurs penaudes du noble combat. Contre l’imprégnation du mode rock’n’roll d’exister dans les traversées d’un bonheur énergétique, restent les tisanes fades de la pétition (toujours de principe). Le rouleau compresseur d’une péremption fait mesurer l’innocence flétrie des naufrages impalpables de la pensée alternative.
(…) Le rock sera la musique motrice d’un Occident à nouveau conquérant, ayant la « pêche » avec son beat incisif et rugueux, pour développer son art de vivre heureux dans ses baskets et ses survêts. Le rock fracasse et roule, cogne et coule tel un marteau de Dieu fouettant le vent mauvais de la guerre froide pour proposer à la jeunesse vivace, sa volupté des corps pourvoyeurs d’une augmentation joyeuse, trépidante et vorace. Son eutopie concrète est d’abondance opulente et de réussite intrépide, de consommation généreuse et de consumation ardente. Qui peut résister à cette hégémonie rythmique ?
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Médium 41 « Rythmes » (octobre-décembre 2014)
Born in the USA
Ce texte est extrait d’un article de Robert Damien, « Rock’n’ roll ou 2 minutes 35 de bonheur »
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Publié le : 14 septembre 2014.
Dans l’équilibre des forces de la terreur, en pleine guerre froide, une guerre chaude s’opère par l’imprégnation des humeurs et l’intériorisation des formes divertissantes du plaisir d’être. Une nouvelle hégémonie prend corps par l’américanisation des appétits de jouissance et le contrôle des frivolités distractives. Le rock’n’roll en est le fer de lance victorieux.
Ce texte est extrait d’un article de Robert Damien, « Rock’n’ roll ou 2 minutes 35 de bonheur », pour le numéro 41 de Médium (« Rythmes »), à paraître courant octobre 2014.
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