« Notre école n’a pas failli. Pourtant, les études internationales le montrent de manière indiscutable : elle est devenue l’une des plus inégalitaires d’Europe… Notre école n’est plus le rempart qu’elle devrait être contre la reproduction sociale. Au contraire : elle l’encourage, elle fabrique de l’échec, de l’exclusion. Et donc du désespoir. » (Manuel Valls).
Fichtre ! Si ce n’est pas faillir, c’en n’est pas loin… Saluons toutefois le courage, il en faut pour assumer un tel bilan qui implique amis et adversaires.
Rapprochée de ce propos churchillien, la nouvelle querelle scolaire rappelle parfois Marie-Antoinette : ils n’ont pas de pain (lire-écrire-compter), qu’ils mangent de la brioche : des tablettes côté modernisme et du latin-grec côté tradition ; une seconde langue dès la 5e et de l’histoire globale à la place du roman national… Certes, on peut réussir sa vie sans savoir le grec ni le latin, ou bien faire Polytechnique pour investir les maths dans le commerce de l’argent : corruptio optimi pessima !
Mais trêve d’ironie, il y a le feu. Les témoignages sur le vif et les analyses savantes confirment le diagnostic officiel. Ils ont motivé les questions que nous avons posées à la ministre de l’Éducation nationale.
Demain l’école ? Le titre de ce numéro de Médium relève moins de la prospective que du manifeste : demain encore l’école !
Certes l’institution scolaire est affectée par les bouleversements du milieu. Une société finit par avoir l’école qu’elle mérite. Nous sommes allés le vérifier au cinéma, où les films sur l’école racontent l’histoire d’une descente aux enfers.
Mais l’institution scolaire s’est elle-même égarée dans un pédagogisme mal inspiré. Jusqu’à engendrer deux monstres jumeaux : l’illettrisme scolaire et le verbalisme pédago, ce jargon tellement prolifique qu’il inspire le pastiche. On ne prête qu’aux riches.
Revenons aux choses sérieuses : maxima debetur puero reverentia.
Demain l’école, parce qu’elle remplit une mission intangible, à travers les vicissitudes historiques. C’est à l’école et sous l’autorité d’un maître que chacun développe sa capacité, innée mais perfectible, à tenir sur le monde des discours réfléchis. À égale distance des dogmes qui font autorité et du bavardage aujourd’hui assourdissant. Les prérequis n’ont pas changé : lire, écrire, compter. Caesar non supra grammaticos.
La laïcité, ou encore l’universalisme, ne sont que d’autres manières de dire cette finalité, l’une au regard des croyances, l’autre au regard des cultures particulières. La culture numérique, par exemple : quand la technique se fait oublier pour sembler naturelle, il est encore plus nécessaire de la tenir à distance – non pour la rejeter, mais pour en prendre connaissance.
L’école donc, dans toutes ses acceptions. Matérielle : un lieu distinct aménagé, « entre les murs », résolument. Institutionnelle et culturelle : l’école et la classe comme « petite société », non pas la cité en modèle réduit mais bien, osons le dire, comme cité idéale.
Tout le reste (pédagogie, technologie, innovations…) est subordonné. Y compris les savoirs et savoir-faire enseignés, a fortiori la formation professionnelle. Subordonné, mais nécessaire : une tête bien faite est une tête bien pleine. Instruire donc, de préférence à éduquer, enseigner, former, etc. qui impliquent d’autres institutions, outre l’école.
Ceci posé, si la plupart des « solutions » aux « problèmes de l’école » sont connues, ayant fait l’objet des expériences éducatives de tous les temps, le numérique est sans précédent. Jusqu’ici, l’école s’est toujours ancrée dans une « graphosphère », ce milieu où la transmission emprunte la voie de l’écrit, et plus précisément la forme-livre. Le numérique est une autre sphère, nullement fermée à la précédente, du reste, plutôt englobante. C’est un milieu, une culture même, en ce sens qu’il accueille de nouveaux parcours pour produire, valider, diffuser, faire usage des connaissances, anciennes et nouvelles ou en train de se constituer. Voyez Wikipédia, dont on peut dire ce qu’on voudra, mais pas lui contester le titre d’institution académique, au moins au sens anglo-saxon du terme.
Pour autant, le numérique n’affecte guère les invariants. Bien au contraire, il ouvre de nouvelles opportunités, tant à l’autorité du maître qu’aux relations de l’école avec la famille, l’entreprise et plus généralement la société : à la contamination de l’école par la société, opposons la scolarisation de la société. Parents d’élèves, il faut assumer…
Reste à découvrir, pas à pas, comment naviguer dans l’océan numérique (In silico, navigare necesse est), ce qui suppose des cartes, une destination et l’autorité d’un maître des équipages (et des machines). Naviguer, plutôt que « surfer sur l’Internet » et bavarder en ligne. Mais eu égard à cette innovation majeure, eu égard aussi au creusement des clivages sociaux et aux différences de niveau, la refondation de l’école requiert la diversité, au risque d’offusquer les vieux républicains attachés au service public unifié de l’éducation nationale. La diversité, du reste, est déjà la règle, mais le plus souvent au profit de l’école des privilégiés. Osons la diversification positive : c’est dans cette perspective que l’excellence pour tous, cet oxymore bien-pensant, peut retrouver du sens. De nos jours, on soumet à la notation les systèmes éducatifs du monde entier pour comparer leurs performances. Pourquoi ne pas en faire autant avec les expériences pédagogiques de tous les temps ? D’autant que le milieu numérique, justement, facilite la diffusion et le partage des meilleures pratiques.
Diversité et expérimentation (usus magister est optimus) : la plupart des contributions du numérique à l’école restent à inventer, comme le font, par exemple ceux qui expérimentent les MOOC, ces cours en ligne ouverts à tous.
Les principes affirmés ici de manière sans doute trop péremptoire appellent bien sûr objections, précisions et nuances. Les lecteurs les trouveront réunies dans le présent numéro de Médium.
Sursum corda !