I. Définition
Si on appelle « communication » l’acte de transporter une information dans l’espace, on appellera « transmission » l’acte de transporter une information dans le temps.
Il faut communiquer pour transmettre : condition nécessaire, non suffisante.
Mais on peut communiquer sans transmettre : c’est la tendance du jour.
Deux dimensions à corréler mais à distinguer. Si les deux opérations ne sont pas antagoniques, chacune mobilise des dispositifs et des compétences souvent antipathiques les uns aux autres.
II. La différence spécifique
Les animaux communiquent, les hommes transmettent.
Nous sommes la seule espèce animale susceptible de transférer, d’une génération à l’autre, plus que des comportements, des objets et idées. Les lois de la biologie ne peuvent expliquer cette accumulation d’acquis, car la biologie moléculaire nous enseigne que « la structure nucléique n’est pas accessible à l’expérience acquise et reste invariante à travers les générations » (François Jacob). La « différence anthropologique » réside dans cette capacité d’enrichissement temporel. Il existe des sociétés animales d’une grande complexité ; on ne connaît pas en revanche de culture animale qui fasse, par exemple, que l’actuelle génération de lions de chimpanzés ou de fourmis ait plus de compétences qu’il y a un siècle ou cent.
C’est parce qu’il a cette faculté extrabiologique d’ajouter à son programme organique (l’ADN) des éléments inorganiques mais organisés (pierres taillées, outils, etc.) que l’humain de passage a pu édifier une culture – et se doter d’une histoire. Mon environnement naturel me communique des informations – visuelles, tactiles, olfactives, etc. –, les animaux émettent et reçoivent des messages les uns des autres (ce dont s’occupe la zoosémiotique). Mais s’ils peuvent avoir quelques acquis, on ne peut dire des mammifères supérieurs, qui n’ont pas d’héritage, qu’ils vivent sur un transmis. C’est pourquoi les animaux n’ont pas d’histoire.
III. OM + MO
C’est la présence ou non, en sus d’un appareillage technique (MO ou matière organisée), d’une institution sociale (OM ou organisation matérialisée) qui distingue un fait de transmission d’un simple acte de communication.
Une transmission = une communication (d’informations) + une communauté (d’informants informés).
Deux versants inséparables, donc : le logistique, les moyens matériels de communication, et le stratégique, la formation polémique d’une autorité. L’intendance et la bataille. La capacité et une volonté.
L’empirisme américain privilégie la technologie, et la critique européenne, la stratégie.
En Amérique : réalisme technique et angélisme politique.
En Europe : réalisme politique et angélisme technique.
Le médiologue réarticule praxis et technè.
IV. Transmettre = transformer
Parce que le médium n’est pas inerte mais structurant, le milieu technique et culturel à travers lequel s’opère une transmission donnée traverse et transforme de l’intérieur son objet. Toute transmission réussie procède d’une métamorphose et en suscite une autre.
Qui refuse de trahir ne traduit pas. Qui refuse de transformer ne transporte pas.
D’où ce paradoxe : l’aval constitue l’amont. L’objet d’une transmission ne préexiste pas à l’opération de sa transmission. Exemple : le christianisme invente le Christ (à partir du Jésus de l’histoire), mais le Christ n’invente pas le christianisme.
Le transmetteur est par fonction et définition un innovateur.
Transmettre, c’est retourner la vie contre la mort : se servir du temps pour se guérir du temps.