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Médium 48 « Matières à penser », pour François Dagognet (juillet-septembre 2016)

Hommage à un maitre, François Dagognet

par

Publié le : 28 novembre 2015. Modifié le : 25 juillet 2020

Ces lignes sont extraites d’un article de notre ami Robert Damien en hommage à François Dagognet (1924-2015). Le prochain numéro de Médium témoignera de la gratitude et de l’affection des médiologues pour ce maître très estimé.

Pourquoi Dagognet ?

Il jouait avec délectation le repoussoir institutionnel. Il attirait les foudres contestataires, en multipliant les fonctions d’autorité dans les instances officielles. Sa courtoisie enjouée était toujours éclairée d’une étincelle d’espièglerie pour alerter les prétendus. Une jubilation gainée de férocité rappelait à l’ordre les habiles. Une bienveillance jamais dupe de ses indulgences conduisait ses amabilités souvent débonnaires, toujours sagaces sous une politesse tellement déférente qu’elle laissait soupçonner une raillerie. Le regard entendu avec le ton toujours exquis de la civilité s’allumait d’une autorité légèrement sarcastique.

Il débarquait en retard dans l’amphithéâtre tel un fugitif en cavale, toujours un peu hirsute, et déjà nous interpellait d’une formule péremptoire : « dites, vous n’êtes pas d’accord, vous ne pouvez pas être d’accord, vous ne devez pas être d’accord mais je le répète, néanmoins… ».

Paralysant toute protestation, il prenait le contre-pied de la vulgate destitutionnelle de cette époque marquée par un irrédentisme gauchisant. En ces temps de désillusions grandiloquentes, il affirmait haut et fort un rationalisme offensif, investissant tous les domaines de l’action concrète. Indifférent au dualisme funeste qui séparait les objets utiles de la pratique et les sujets nobles de la morale, son progressisme pensif vantait l’expansion des techniques comme arme normative d’une transformation socialisante de l’ordre établi par un État constamment en voie de réformation pour être conforme à son concept.

Une intelligence électrique évoquait alors successivement et parfois en même temps, un texte, un auteur, une opération, un calcul, un appareillage, un équipement, un phénomène. Des références inédites court-circuitaient les attendus, ébranlaient les acquis…

Impossible de stationner dans les allées convenues de l’évidence tant on traversait de champs disciplinaires, de la biologie des moustiques à la minéralogie des cristaux, de la statistique des populations au calcul des impôts, de l’économie du cheval à l’architecture moléculaire des familles, du graphisme des représentations chimiques aux maladies psychosomatiques de l’écoute, des classifications du magasin capitaliste à la défense de la sécurité sociale que les plus révolutionnaires de ce temps appelaient déjà l’Etat-Providence pour la dénoncer comme incarnation de la collaboration de classe et instrument de domination normalisante.

Constamment, ses livres réfléchissent les trames essentielles d’une philosophie à l’œuvre toujours en mouvement pour innover, conquérir, augmenter les puissances affirmatives de l’homme.

Dagognet est de ceux-là qui seuls importent.



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